Les portes de l’Islam.
Les portes de l’islam ne sont pas
seulement celles qui laissent entrevoir les arcs ogivaux en faïence turquoise
de la coupole de Masjid-i Shaykh Lutfallah, à Ispahan, dans l’Iran safavide[1],
ou les cours du palais nasride[2]
d’Alhambra, vision post-visigotique des royaumes d’Espagne. Ni non plus par les
imposants portails de la citadelle d’Alep, exemple raffiné de l’architecture syro-islamique.
On n’entrevoit pas davantage l’islam uniquement par la voie de la dynastie Abasside[3],
héritière de Bagdad, régnante subtile à Samarra, ville sainte qui voit le monde
du haut d’une ziggourat en spirale ou
par la dynastie Samanide[4],
régnante à Nishapur et Samarkand. Elles ne sont pas uniquement accessibles, les
portes de l’islam, par les voies ouvertes par les Turcs seldjouqides[5]
en Anatolie et en Iran. Ou bien par le modèle fatimide de l’Egypte, qui a érigé
en forme de coquille la façade de la Mosquée cairote d’al-Akmar,
(1125), symbole de fécondité et de renaissance,
rêve marin dans le désert récalcitrant.
Aussi ce ne sont pas les seules portes d’entrée de l’islam, l’ensemble de
minarets de Hagia Sophia, ou celui de la Grande Mosquée de Kairouan,
ou la forêt de colonnes de la mosquée de Cordoue, ou les ogives de l’université
bagdadienne d’al-Mustansiriya, ou bien la citadelle de Saladin. Ces sites sont
des antichambres de lieux beaucoup plus profonds et secrets, qu’une lecture superficielle
ignorerait parfaitement, perdue dans la contemplation de la plasticité féconde
et profuse des volumes architectoniques et dans la succession dynastique
glorieuse, mais aussi décadente, d’empires et de royaumes érigés et tombés sous l’égide du croissant.
Les
portes de l’islam sont formées et travaillées par une immémoriale vision de
monde qui trouve dans le Livre sa vérité. Toutefois on n’ignore pas les sites
qui ont accueilli les grands moments de la civilisation islamique. On y entre
bercé par le dhikr, récitation
extatique et mystique du coran qui murmure dans l’imaginaire du croyant, par les
voix tantôt occultées, tantôt claires des maîtres de Karaouine, étoile de Fez,
et des échos savants et rythmés de la madrassah de Karatay.
On pénètre dans l’islam par le
verbe et par l’image, surtout par les poèmes illuminés de Warkah
wa Gulsah[6],
ou par des peintures d’une copie du Makamat,
de Hariri[7]
et du Shah-nameh [8],
de Firdûsî.
Les visions mystiques qui
composent le sens d’Alam al-mithâl[9]
exalté par les mystiques Ibn Arabi, et Jalal-u-din al-Rumi ont fait Goethe
s’exclamer, comme un écho de l’ancienne Transoxiane “À Dieu est l’Orient !»[10]
Ces portes s’ouvrent
franchement et avec hospitalité aux imaginaires en quête d’abri sous les
beautés palpables à la sensibilité plus évidente de la scène primitive. Sensibilité
qui dérive de l’Absolu, créateur de toutes les essences vitales qui régissent la
religion, l’art et la littérature, car le prophète lui-même disait: “Dieu est beau et il aime la beauté”.[11]
Le cœur islamique, profonde
émanation d’une vérité, est entrevu sous les trames verbales: une poétique unie
à l’hétérogène esthétique d’une civilisation, à gérer le sens et le destin de
l’entente.
On entre en islam par la
profusion des contes de sa littérature, parmi lesquels les Mille et Une Nuits
viennent exploiter les ambiances les plus secrètes et louches de la société
musulmane. Ce sont des contes soutenus par la fantaisie de mondes souterrains occultés
sous les carreaux que l’on hausse par des anneaux, jardin secret d’Aladin, et
dont les arbres produisent des pierres précieuses. On s’insère dans l’islam à travers l’érotisme,
par la voie du mujûn[12],
royaume des esprits libres qu’une dense société patriarcale célèbre en
subversion à l’ordre tellement rêvé par le prophète. On passe par cette voie à
travers l’œuvre des érotologues comme Ali al-Bagdadi (XIX) et ses Fleurs éclatantes. On est guidé par la
main de Mohamad al-Nawadji (XVe), du cheik Nafzawi (XVe) et l’incomparable Prairie parfumée ou s’ébattent les plaisirs.
Ce sont des mondes où des génies et des esprits – djinns et éfrits –
fréquentent librement l’atmosphère nocturne pointée par les coupoles
bagdadiennes et la pénombre des hammams[13],
où les caustiques humeurs humaines sont transmutées en délice des sens.
Dans la modernité, on entre finalement
dans le monde islamique, à travers le ton élégiaque de la poésie en l’honneur
des martyrs.
De toutes les portes, l’hommage
aux morts est la plus étroite. De tous les portails monumentaux, depuis Ishtar babylonien à Bab el had[14],
dans la médine de Fez, le seul qui mène à la mémoire du martyre. Dans ces chants,
le plus solennel et le plus intime: tragòs
et pathòs indissociables dans la
mémoire de la douleur. Celui qui se répète dans le temps, depuis les pleurs de Majnoun[15]
sur le tombeau de Laila, les Croisées et jihad,
à l’éloge aux morts de Tahar Ben Jelloun en La
remontée des cendres.[16]
De tous les islams, le plus douloureux, car la poésie élégiaque et son ton
solennel jaillissent dans la modernité des turbulences du monde arabe qui laisse
de coté, bien que par l’espace d’un poème, les piliers de l’islam, pour soustraire
de l’oubli et de l’indifférence impérialiste, les victimes des conflits.
Par cette porte la poésie est
perçue comme clameur caustique, commentée par des chants funèbres les
dépouilles, les vols au Musée de Bagdad, ou dormait la Dame de Warka, les corps anonymes tombés sous
la couche de gaz létal au Kurdistan, le souvenir de Sabra et Chatila, les
milliers de martyrs de la guerre du Golf, l’éclat moral et social de
l’occupation Palestine, périmètre obscure d’infernales violations.
Tel un gardien de cette
singulière entrée en islam, voilà le poète. Hiérophante des mots, il célèbre en
libation révérencielle la mémoire des martyres et son histoire.
La poésie arabe sur les
victimes de la guerre, porte archétypique de l’islam répète sans cesse dans les
entrelignes de sa douloureuse conception, la notion islamique de l’impermanence
de l’homme, ses luttes, et la pérennité de la miséricorde divine comme la seule
capable de consoler les misères humaines, y compris les guerres.
[1] Dynastie
persane initiée (fondée) par le Shah Ismail, en 1502. La culture
safavide a atteint son point le plus haut pendant le royaume du Shah Abbas I
(1587-1629) qui en 1598 a
transféré la capitale à Ispahan, au cœur de l’ancienne Perse, ou (où) elle
s’est transformée dans le centre d’art et de la culture musulmane oriental
pour(durant) presque deux siècles
[2] Dynastie arabe en Espagne indépendante du
pouvoir califal de Bagdad (1232-1492); sa cour à Grenade a crée (créé) une
culture qui atteindra un niveau de magnitude sans pareil en Espagne musulmane.
[3] Dynastie fondée par le Calife al-Mansur,
lequel en 750 transfère la capitale de Damas (en Syrie) (vers l’Irak à Bagdad, la
première ville entièrement fondée par des musulman est crée (créé) en 762. Apparemment les Abbassides ont détenu le
pouvoir jusqu’au milieu du XIIIe, quand le dernier calife de la dynastie a été
mort (tué) par les mongoles pendant le sac de Bagdad en 1258.
[4] Dynastie persane (874-999), fondée par le
Shah Saman Khodat, noble zoroastrien.
[5] Dynastie turque originaire des peuples Oguz
(X-XIII).
[6] Début du XIIIe,
manuscrit illustré de la période Seldjouqide. Il s’agit d’un très important
document qui prouve l’existence d’une école de peinture de livres des XIIe et XIIIe.
[7] En
árabe: reunions. Poète iraquien (m.
1122).
[8] Livre des Rois. Poète persan né en 1380, à Tabriz.
[9] De l’arabe: monde imaginal (imaginaire).
T.d.A.
[10] GOETHE, W. Le divan, Paris, Gallimard, 1984, p.2, traduction d’Henri
Lichtenberger. « À Dieu est l’orient/À Dieu est l’orient/ dans les
confins du nord et du sud/Reposent dans la paix de Ses mains ».
[11] Sahih Muslim.
[12] Genre érotique arabe.
[13] Bain turc
[14] Porte étroite.
[15] Thème de chansons, sonnets et d’odes
d’amour des bédouins, la légende de “Laila
e Majnoun a été originalement enregistrée en vers par le poète Nizami, au XII.
[16] BEN JELLOUN, Tahar, La remontée des cendres, Paris: Seuil, 1993.
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